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La loi Perben II : Une loi scélérate

vendredi 26 mars 2004 par CIRDEL

Rectificatif

Ce document provisoire est basé sur le projet de loi. Celui-ci a été (bien trop) peu censuré par le conseil constitutionnel le 3 mars dernier.

Ainsi, dans le paragraphe 2, la cause de nullité pourra finalement être plaider. Par ailleurs, dans le paragraphe 3, le plaider-coupable ne se fera plus devant le procureur mais, en public, devant un tribunal.

Aussi notre document est en cours de ré-écriture. L’ensemble des autres observations reste malheureusement valable....

Introduction

La loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dit également loi Perben II, a pour objectif affiché de « créer un cadre juridique spécifique pour lutter contre la criminalité et la délinquance organisées et à mettre à jour la procédure pénale ». Ce texte, qui procède à une vaste réorganisation de la procédure pénale, entend donner de nouveaux moyens à la police et au ministère public pour combattre les nouvelles mafias. Mais il constitue en pratique le parachèvement des textes gouvernementaux en matière de sécurité et marque un nouveau recul des libertés publiques et individuelles. Il accroît considérablement les pouvoirs de la police et compromet l’indispensable équilibre entre les droits de la défense et ceux de l’accusation, le juge voyant en particulier son rôle fondamental relégué au second plan, au profit du ministère public et de la police.

§1 Les principales mesures

La notion de "délinquance et criminalité organisées" fondera une procédure dérogatoire au droit commun :

Développement des pratiques policières souterraines :

1. surveillance des personnes : les officiers de police judiciaire et, sous leur autorité, les agents de police judiciaire, après en avoir informé le procureur de la République et sauf opposition de ce magistrat, pourront étendre à l’ensemble du territoire national la surveillance de personnes contre lesquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles (et non des indices) de les soupçonner d’avoir commis l’un des crimes et délits relevant de la criminalité organisée. Outre que la notion de "surveillance" n’est pas définie, la compétence nationale des officiers de police judiciaire, qui deviendrait la règle en ce domaine, ne peut que rendre plus difficile leur contrôle par l’autorité judiciaire garante des libertés individuelles. 2. généralisation de l’infiltration de policiers dans les réseaux : un policier ou un douanier pourra se faire passer pour coauteur, complice ou receleur de personnes suspectées de commettre un délit ou un crime, prendre une fausse identité et commettre des actes répréhensibles tels qu’ « acquérir, détenir ou transporter des substances, biens, produits, documents ou informations tirés de la commission des infractions qu’ils sont chargés de surveiller ». En tout état de cause, la généralisation de l’infiltration à un grand nombre de situations expose à un risque majeur de corruption morale, à une perte des repères et à un contentieux inévitable sur la valeur des preuves rassemblées par ce moyen. Comment d’ailleurs respecter les droits de la défense et le principe du contradictoire lorsque l’agent infiltré est anonyme et doit le rester ?  3. interception, enregistrement et transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications ; 4. « sonorisation et fixation d’images de certains lieux ou véhicules », c’est-à-dire pose de micros et de caméras dans les domiciles privés et les véhicules ;

Autorisation des perquisitions de nuit et des perquisitions sans l’assentiment de la personne, ou hors de sa présence ;

Accroissement considérable de la durée de garde à vue, portée à 96 heures (au lieu de 24 heures), y compris pour les mineurs de 16 à 18 ans, l’intervention de l’avocat étant différée à la 48ème heure, voire même à la 72ème heure dans deux cas. Outre que le projet de loi ne prévoit aucune garantie particulière, relative en particulier au temps de repos ou à l’alimentation, contre les risques de traitements inhumains ou dégradants inhérents à une telle mesure, la prolongation de la durée de la garde à vue diffère de manière inacceptable le moment de la présentation devant le juge garant des libertés individuelles. Cette durée excessive transforme la garde à vue en pré détention provisoire.

§2 Quelle criminalité organisée ?

La loi Perben II affirme accroître les pouvoirs de la police et du parquet et mettre à leur disposition des procédures d’exception pour combattre les réseaux criminels. Mais la notion de criminalité organisée, qui fonde la création d’une procédure dérogatoire au droit commun, est sans grande cohérence et ses contours flous ne répondent pas à l’exigence de précision et à l’impératif de sécurité juridique qu’imposent le principe de la légalité criminelle, garantie d’un Etat de droit. L’analyse de la loi révèle notamment que cette procédure d’exception, trop vague et donc facile à détourner, pourra s’appliquer aux délinquants ordinaires, mais également que certaines actions syndicales pourraient entrer dans le champ d’application de ce texte : la notion de criminalité organisée n’est pas définie de façon assez précise pour éviter les abus. Le Syndicat de la magistrature relève par exemple que les dispositions prévues par la loi pourraient s’appliquer à l’arrachage d’O.G.M. et à l’hébergement d’un sans-papiers, s’ils sont commis par plusieurs personnes lors d’actions collectives du mouvement social (J’essaime, n° 6). Au surplus, s’il s’avère que la procédure d’exception de la criminalité organisée a été irrégulièrement appliquée à une affaire qui n’en relevait pas, cette erreur de qualification ne constituera pas une cause de nullité de la procédure. Le projet d’article 706-99 du Code de procédure pénale prévoit en effet que « le fait qu’à l’issue de l’enquête ou de l’information ou devant la juridiction de jugement la circonstance aggravante de bande organisée ne soit pas retenue ne constitue pas une cause de nullité des actes régulièrement accomplis en application des dispositions du présent titre ». Ces pouvoirs exorbitants pourront donc être détournés de leur objet sans risque de voir annuler la procédure. Les dispositions sur la garde à vue de 96 heures, les écoutes téléphoniques, les repentis, les indicateurs rémunérés, la "surveillance", les perquisitions de nuit, l’infiltration de policiers, la pose de micros et de caméras dans les domiciles pourront donc être de facto applicables en toutes circonstances et quelle que soit la gravité des faits suspectés ou poursuivis : pourquoi se priver de ces pouvoirs si l’on sait qu’il n’y aura pas d’annulation de la procédure en cas d’abus ?

§3 Le plaider-coupable : une justice sans juges

La loi Perben II permet également aux personnes poursuivies dans le cadre d’infractions punies à titre de peine principale d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans de plaider coupable devant un procureur et de négocier avec lui. La peine sera fixée entre le prévenu et le procureur, ne laissant plus au juge du siège qu’à "homologuer" la décision prise entre les parties. Cette procédure accentuera le déséquilibre de la procédure pénale en transférant une partie des pouvoirs des juges du siège aux procureurs. Ces dispositions donnent donc aux magistrats du parquet, soumis aux ordres de l’autorité politique, le pouvoir de décider d’une peine, en contradiction avec le principe de la séparation entre les autorités chargées de la poursuite et les autorités de jugement, qui constitue l’une des garanties de la liberté individuelle. La logique de ce plaider-coupable conduira à un marchandage dans le bureau du procureur, d’autant plus utopique qu’il postule une discussion d’égal à égal entre le procureur et l’avocat de la défense. Des personnes innocentes ne risquent-elles pas de se déclarer coupables par crainte d’une procédure aléatoire, ainsi qu’on l’a vu aux Etats-Unis d’Amérique ? Cette procédure privera en outre la victime de tout rôle actif dans le procès pénal. Cette justice sans juge et sans procès constituera en tout état de cause une atteinte au droit d’être jugé par un tribunal impartial et indépendant, au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, et ce d’autant plus qu’elle supprimera le procès public, seule garantie réelle de démocratie.

§4 L’officialisation du statut des repentis : l’impunité pour les délateurs

La loi Perben II étend également les dispositions relatives aux "repentis" en prévoyant que « la personne qui a tenté de commettre un crime ou un délit est, dans les cas prévus par la loi, exempte de peine si, ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire, elle a permis d’éviter la réalisation de l’infraction et, le cas échéant, d’identifier les autres auteurs ou complices ». Ainsi que le souligne la Commission nationale consultative des droits de l’Homme dans son avis du 27 mars 2003, « ce système, comme celui de "l’infiltration", procède d’une conception dégradante de la justice pénale, et ne peut qu’aboutir à des résultats contestables, la fiabilité des témoignages ainsi obtenus ne pouvant qu’être systématiquement discutée ». Est-il en effet admissible qu’une personne ayant tenté de commettre un crime puisse ne pas encourir de sanction au seul motif qu’elle aurait dénoncé ses complices ? Quelle valeur, à plus forte raison, attacher à ses déclarations ? Quelle peut être la fiabilité d’une dénonciation intéressée au regard du risque d’engendrer de graves erreurs judiciaires, comme l’a montré l’exemple italien ?

§5 Le fichier des délinquants sexuels

Le projet de loi Perben II prévoit la mise en oeuvre d’un fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles. Ce ficher est notamment destiné à recevoir, conserver et communiquer l’identité, l’adresse ou les adresses successives et, le cas échéant, des résidences, des personnes ayant fait l’objet d’une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement. Une personne ayant fait l’objet d’une dénonciation calomnieuse et dont l’innocence a été démontrée par son acquittement par un jury populaire pourra donc figurer dans le fichier des auteurs d’infractions sexuelles.

§6 L’indépendance de la justice

Alors que la nécessité de couper tout lien entre l’autorité politique et la justice afin d’assurer son indépendance est depuis longtemps proclamée, le projet de loi Perben II réaffirme l’autorité directe de la Chancellerie, par les instructions individuelles. Le projet de loi prévoit en effet de créer dans le Code de procédure pénale un article énonçant que le Ministre de la justice peut adresser aux magistrats du ministère public des instructions générales d’action publique et enjoindre au procureur, par instructions écrites, d’engager ou de faire engager des poursuites.

§7 La liberté ne se divise pas

Le projet de loi Perben II privilégie une conception policière du procès pénal, instaurant un déséquilibre entre les pouvoirs de police et du parquet et la garantie des droits du citoyen, dont rien ne prouve d’ailleurs qu’elle soit efficace. Il met à la disposition de la police des outils d’investigations attentatoires aux libertés, la lutte contre la criminalité organisée servant à justifier une nouvelle restriction des libertés individuelles. Ce projet de loi lève certaines contraintes procédurales qui n’existent pas pour entraver le policier, mais pour protéger les libertés individuelles. La lutte contre la criminalité organisée constitue un objectif légitime, mais la poursuite de cet objectif doit se concilier avec le respect des droits fondamentaux de la personne, et notamment le respect des principes du procès équitable, des droits de la défense et de la dignité humaine. Ainsi que l’énonce l’article préliminaire du Code de procédure pénale, « la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties ». La liberté ne se divise pas : ni la sauvegarde d’un ordre moral, ni les exigences de l’opinion ne peuvent justifier que soit sacrifiée une liberté ou un droit.


Documents joints

loi perben 2

26 mars 2004
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