CIRDEL

LA PRISON, la démocratie à l’épreuve

jeudi 19 août 2010 par CIRDEL

Les 15 et 16 juin dernier se sont tenues deux journées organisées par la Mairie du 1er arrondissement sur le thème de la prison

15 juin

La question carcérale

Dans l’après-midi du 15 juin, autour d’une cellule reconstituée par GENEPI, différentes activités ont permis de faire sentir ce qu’est la vie lorsque l’on est incarcéré. Un atelier de cuisine animé par Bruits et Couleurs montrait qu’avec le peu de moyens dont disposent les prisonniers, mais en y ajoutant imagination et débrouillardise, on pouvait confectionner des plats qui sortaient de l’ordinaire (ravioles et tarte tatin par exemple).
Des textes de personnes en détention, mis en musique, furent lus sur la place et une exposition présentait des photographies centrées sur la vie en prison.
L’Observatoire International des Prisons et la Bibliothèque Municipale étaient aussi présents place Sathonay.

La Récidive en question

Nathalie Perrin-Gilbert, maire du premier arrondissement, en conclusion de ces animations, insista sur le fait qu’une personne n’est pas réductible à ses actes délictueux, contrairement à ce que certaines tendances prédéterministes actuelles voudraient nous faire croire. Elle désigna aussi parmi les causes de récidive l’éloignement (prisons lyonnaises à Corbas).
En présentation de film de Patrick VIRON, « La récidive en question », elle nous invita à réfléchir sur les confusions entretenues autour du terme récidive, confusions qui amènent au gonflement artificiel de chiffres liés à une évaluation de la sécurité dans notre société et au-delà à la justification d’un discours et d’un ensemble de mesures orientés vers le tout-sécuritaire.

Le film a été tourné à Saint-Etienne en partie dans la maison d’arrêt de la Talaudière et à Lyon dans le Palais de Justice et pour certaines interviews. Il présente des détenus, des personnels pénitentiaires, des juges, des intervenants dans le domaine social…
Patrick Viron a insisté, pour la réalisation de ce film, sur le rôle de l’action culturelle en milieu carcéral porté par le SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation), rôle tenu par les travailleurs sociaux qui ici ont mis en place un atelier de création audiovisuelle.
Les anciens détenus qui apparaissent à l’écran sont tour à tour acteurs et porteurs de la caméra.

Patrick Viron explique : « Le film commence à la maison d’arrêt de Saint-Étienne "La Talaudière". À la "Talau" comme on le dit ici, surveillants et détenus s’accordent à dire que la récidive est si courante que l’image du détenu se confond avec celle du récidiviste. Ce projet de film documentaire est né de ce constat terriblement enfermant dans lequel détenus et personnels pénitentiaires se retrouvent prisonniers et " victimes". Il veut également être l’aventure partagée d’hommes, détenus et ex-détenus – directement concernés par la récidive – investis dans la création d’un film. À travers des interviews de détenus, de personnels pénitentiaires, d’avocats ou de juges, interviews menées par des détenus ou ex-détenus, je veux rendre compte d’une situation et de la vision qu’en ont ces personnes au plus proche de la réalité vécue. Ces paroles réelles et sensibles témoignent d’une tentative d’évasion des comportements enfermants et des idées reçues. Le film pose ainsi le problème du combat de la récidive qui, comme le déclare le Garde des Sceaux, Pascal Clément, est une nécessité ressentie par toute société qui souhaite faire durablement baisser la délinquance. »

Le débat commença par quelques questions sur le film. Que sont devenus les quatre participants principaux ?
Mickael a récidivé
Roland a maintenant un bracelet électronique, sa libération est liée à l’obtention d’un travail
Medhi est en difficultés d’insertion
Salim, a un poste de cuisinier

D’autres thèmes furent abordés :
La non préparation, en France des détenus à leur retour dans la vie est criante, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays où on prépare l’avenir (Canada.,…).
La surpopulation qui ne permet pas la mise en place des programmes de réinsertion.

Puis une partie du débat s’est passée entre deux anciens détenus :

Alain, qui met en cause la violence et le non-respect à l’égard des prisonniers comme origine principale de la récidive. La prison fabrique des révoltés nous dit-il. La réinsertion est un vain mot. Les actions culturelles ne servent à rien, surtout pas à la réinsertion. Comme pour la scolarité ou les formations, les actions culturelles permettent avant tout de sortir de la cellule. Dans nos sociétés où on recherche le zéro défaut, n’importe qui peut se retrouver en prison. Il faudrait écouter véritablement les détenus. Il dit qu’il travaille contre l’administration pénitentiaire car elle est à l’origine de 90% de la récidive.

Eric Jayat, de Axes Libre, exprima son désaccord avec cette conception du rôle des actions culturelles. Il nous dit que la prison, dans nos sociétés démocratiques, était la seule réponse à la portée des citoyens et des juges pour punir les gens. Des prisonniers, même après une longue détention, ont réussi leur sortie de prison grâce à l’accompagnement dont ils ont pu bénéficier.
Il rappela, sans entrer dans les détails, qu’une partie de la violence en prison est créée par les détenus eux-mêmes, par la hiérarchie non-officielle qu’ils mettent en place.
Il indiqua qu’il y a 63000 détenus en France dont 15000 en maison d’arrêt. Il faut travailler avec l’administration pénitentiaire et ne pas la laisser isolée. L’appareil pénitentiaire doit être en liaison et travailler avec l’appareil judiciaire, l’appareil médical, l’appareil de sécurité (police et gendarmerie) si on veut limiter la récidive ou surtout la réitération qui représente 80% des cas.

16 juin

La journée du 16 juin fut consacrée à des ateliers avec des professionnels de l’univers carcéral, ateliers non ouverts au public et la soirée à une conférence débat sur le sens de la peine.
Représentants de l’administration pénitentiaire, de la magistrature, des associations, des représentants des personnes incarcérées… ont dialogué ensemble au cours de cette journée.

Le sens de la peine

Une peine peut-elle être juste, être comprise par la personne sanctionnée, va-t-elle permettre à la personne de se construire ou de se reconstruire et donc de ne pas se retrouver en situation de récidive.

C’est d’abord Etienne Rigal, vice-président du Tribunal de Police, membre du Syndicat de la Magistrature puis Philippe Zoummeroff, industriel (Facom), représentant la société civile, co-auteur de « la prison, ça n’arrive pas qu’aux autres » qui nous firent part de leurs réflexions.

Etienne Rigal, dont nous connaissons une partie de sa conception de la justice grâce au livre d’Emmanuel Carrère : « D’autres vies que la mienne » nous fit part de ses réflexions sur la nécessité de la punition.
Les grands points de son intervention sont présentés ici sous forme télégraphique !

Le discours de la gauche depuis vingt ou trente ans est lié à la loi critiquable sur les peines plancher
(ce n’est pas la gauche qui a instauré les peines planchers, mais Sarko par Dati).
La sanction est constituée de la peine et des mesures de sûreté.
Les finalités de la peine sont rétributives, afflictives, infâmantes. L’empilement des lois récentes ne doit pas faire oublier ces finalités.
Afflictive, une peine fait mal et elle est là pour ça c’est une violence légale.
La société a besoin de punir, il doit y avoir une vengeance sociale.
Depuis Badinter, et dans le discours de Truche, a été introduit la notion d’un droit pénal qui pourrait être aussi non violent, par exemple le sursis avec mise à l’épreuve.
(De même, la notion de sursis avec mise à l’épreuve.) Le sursis s’accompagne d’obligations principalement éducatives, obligations d’éducation, de soins… Dire que cette mesure est une mesure non-violente conduit à une dérive parce que comme pour les travaux d’intérêt général, le non respect des obligations conduit à la prison aggravée.
On n’est pas là pour prononcer des peines éducatives, mais pour prononcer des peines. La peine doit rester une mesure de violence.
J’aimerai que la gauche s’aligne sur cette position.
La gauche met souvent en avant la question des origines, la recherche de circonstances atténuantes… et non de rémunérer ce qui a été fait.
La peine de prison, dans certains cas ça marche, mais on ne sait pas pourquoi. Dans beaucoup de cas, ça ne marche pas.
Il est dangereux que le magistrat, lorsqu’il prononce une peine, se situe dans une démarche « thérapeutique ».
Lorsqu’on veut que la peine prévienne la récidive, comme le gouvernement actuel le voudrait, la peine n’est plus là pour simplement sanctionner.
La peine plancher, c’est un minimum quelles que soient les circonstances dans lesquelles le délit a été commis. C’est à la fois la finalité rétributive mais accompagnée d’une mesure de sûreté c’est-à-dire avec une garantie sur l’avenir. On demande de plus en plus aux juges non pas de juger la chose passée, mais d’anticiper le comportement du prévenu. Ici, on quitte le droit. On se situe dans le domaine de la dangerosité,
Il est urgent que la gauche revienne sur une notion de peine juste.

Philippe Zoummeroff, co-auteur avec la journaliste du Monde,Nathalie Guibert, de « La prison, ça n’arrive pas qu’aux autres » a déroulé le fil de ses activités au cours des dernières années et nous a fait part de la difficulté a avoir un avis tranché en matière de justice pénale :

Durkheim : il est obligatoire que tous les pays aient leur lot de criminels.
Philippe Zoummeroff a mis le contenu de sa bibliothèque concernant la justice pénale sur Internet. La collection concerne non seulement les délits et les crimes de droit commun, mais aussi les crimes politiques, les exactions liées aux religions, la mafia, les camps de concentration et autres goulags, les bagnes, les révolutions, les grands procès...
Membre de l’Association française de criminologie, il a fondé une bourse en faveur de la réinsertion des détenus. Depuis des années, il mène l’enquête sur les prisons françaises, interpelle hommes politiques et s’entretient avec les cadres de l’administration pénitentiaire sur l’urgence d’une réforme du système carcéral.
Un individu qui commet un délit doit être puni, c’est un contrat social qui a été rompu. La loi qui garantit la liberté d’autrui n’a pas été respectée. L’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme commande que les peines ne soient pas au-delà de la stricte nécessité.
Il nous a ensuite commenté d’autres articles du Code Pénal, du Code de Procédure Pénale et différentes définitions de l’incarcération pour illustrer le thème du sens de la peine, de la libération conditionnelle et de la réinsertion. Il s’est ensuite consacré à la condition du détenu, la surpopulation carcérale, le manque de moyens mis à la disposition des acteurs pour assurer les missions de la fonction pénitencière.et à la détention de sûreté.

Débat avec la salle.

Jean-Marie Fayol Noireterre, ancien magistrat : le juge doit d’abord dire si la personne est coupable ou non.
Dire que la peine est rétributive en se fondant uniquement sur les faits risque de conduire à un système fondé sur des barèmes : « tant de vols… telle peine ».
Affirmation du pouvoir du juge qui va décider sur ses impressions personnelles.
Pour les peines plancher, on aboutit à des peines multipliées par deux.
Il est choquant d’entendre parler de malades mentaux qui ne pourraient pas évoluer.

Philippe Zoummeroff  : Avant de parler d’insertion, il faut parler de guérison.

Etienne Rigal : le juge se pose la question, combien ça vaut ?mais sans se référer à un barême, même si le risque existe. La loi sur la récidive est une forme de personnalisation de la peine. A propos de la notion de rétribution, je parle du prononcé de la peine et non de son exécution.

Après la fin des interventions de la salle, interventions sur des questions plus générales (et en particulier sur une justice qui ne traite pas de la même manière les personnes selon leur condition sociale, leur couleur de peau…) , Nathalie Perrin-Gilbert conclut ces deux journées.


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