CIRDEL

Quand l’agressée doit mener sa propre enquête

lundi 5 juillet 2004 par CIRDEL

Le 19 janvier 2003, en fin d’après-midi, ma sœur et moi-même longions le cours Lafayette, accompagnées de mon neveu âgé de 4 ans, pour faire des emplettes. Nous avons alors été victimes d’une violente agression physique de la part d’un individu qui nous était jusqu’alors inconnu et qui, après avoir proféré des injures racistes à notre égard, s ’est attaqué à nous physiquement. L’agresseur nous a porté de nombreux coups, nous a chacune projeté au sol, et a failli étranglé ma sœur. Nous sommes ressorties saines et sauves de cette agression mais avec de nombreux traumatismes physiques et psychologiques, particulièrement pour mon neveu, âgé de 4 ans, qui a assisté à toute la scène. Il aurait suffi d’un coup ou d’une chute mal placés pour que la situation se transforme en véritable drame (handicap ou mort). Aujourd’hui, plus de 4 mois après cet événement, les séquelles de cette agression sont toujours très présentes. Ma sœur et mon neveu sont actuellement suivis médicalement. Je ressens moi-même le besoin d’une aide qui m’aiderait à gérer les traumatismes générés par autant de violence.

Face à cette agression, la police a manqué de professionnalisme et certains agents ont semblé nous considéré a priori comme les coupables dans l’affaire, du fait de nos origines maghrébines. Le laxisme de certains fonctionnaires a abouti à une situation où l’agresseur, aussi dangereux soit-il, a pu bénéficié d’un sentiment d’impunité.

Nous nous demandons aujourd’hui si la police aurait eu le même comportement si les victimes avaient été des personnes ne présentant pas des origines maghrébines comme ma sœur et moi-même.

Je, soussigné Myriam Belhadj, atteste par la présente avoir vécu les faits suivant le suite à l’agression dont j’ai été victime le 19 janvier 2003 :

L’agression

Le lundi 19 janvier à 17 heures environ, ma sœur Souad Belhadj, son fils Aikel Belhadj (agé de 4 ans) et moi-même nous trouvons sur le cours Lafayette, au niveau du 110 - 115. Nous accompagnons Souad chez le coiffeur. Je tiens mon neveu, Aikel, par la main. Nous croisons un homme qui bouscule mon neveu. Il profère aussi des insultes à son égard que nous n’entendons pas sur le moment, mais qu’un témoin de la scène nous a rapporté par la suite. Il le traite en effet de garçon mal élevé et lui fait une remarque raciste. Nous ne prêtons pas attention à cette personne jusqu’à ce qu’elle s’arrête et nous injurie. Je me retourne et j’entends notamment les termes de « pute » et « connasse ». Ma sœur me confirme que l’agresseur s’adresse bien à nous. Je demande au passant si c’est bien à nous qu’il s’adresse. L’agresseur me répond par une injure raciste « sale arabe ! ». Puis cet homme m’agresse physiquement ; il commence à me bousculer et me frapper. Ma sœur Souad est tétanisée jusqu’à ce que son fils lui dise : « Maman, Tata se fait taper par le monsieur ». Souad réagit alors pour me défendre et utilise son sac à main pour porter des coups à l’individu, qui continue à me frapper. L’agresseur se retourne alors vers Souad et lui assène des coups de poings et de savates. Souad crie à l’aide mais personne ne vient à notre secours. Des personnes qui se trouvaient dans le PMU à proximité en sortent pour observer la scène, mais aucune ne nous vient en aide. Après un autre coup, je me retrouve à terre. L’individu commence alors à s’en aller en traversant la rue. Souad lui crie : « tu ne vas pas t’en tirer comme ça » et se lance à sa poursuite. Elle traverse le cours Lafayette et arrive près de la rue Juliette Récamier. Arrivée à son niveau, elle le prend par le bras pour l’immobiliser. Elle indique à l’individu que désormais, il va avoir à faire à la justice. L’agresseur lui répond : « de toute façon, je vais te tuer » et commence à l’étrangler. Souad se défend en lui portant des coups ; l’agresseur la projette alors sur les escaliers. J’accours pour défendre ma sœur ; l’agresseur me projette sur le trottoir puis recommence à s’en aller. A ce moment là, un groupe de passants le suit, l’encercle et le ramène vers nous.

Les contacts avec le 17

J’appelle le 17 de mon téléphone portable. Il est environ 17h30. Un homme me répond. Je lui indique que je suis victime d’une agression et lui donne les détails, dont le lieu. Je lui demande de nous faire envoyer rapidement une équipe de policiers. L’homme me demande de lui donner ma position. Je lui indique de nouveau le lieu. La communication est coupée. N’étant pas recontactée par le 17, je rappelle une 2ème fois. Une femme me répond. Je lui demande pourquoi on vient de me raccrocher au nez. Elle répond « on ne comprenait pas ce que vous disiez ». Puis m’interroge : « mais vous avez besoin de quoi : pompiers ... ». Je réponds que nous avons besoin d’une intervention de la police car nous venons d’être victimes d’une agression. L’appel se termine.

Je tiens à souligner le manque de professionnalisme des personnes qui ont répondu à mon appel alors que, venant de vivre une agression particulièrement violente, j’étais en état de choc physique et psychologique :
- le fonctionnaire qui m’a répondu le 1er ne m’a pas rappelé ;
- la fonctionnaire qui a répondu à mon 2ème appel m’a demandé quel type d’intervention je voulais comme si elle ne savait pas elle-même quoi faire dans ces cas-là.

L’arrivée et le comportement de la police sur le lieu de l’agression

Une première patrouille arrive. Il s’agit de 3 agents en civil. Ils arrivent en courant, en remontant la rue Récamier dans le sens inverse de la circulation. L’un d’eux, plus âgé (une quarantaine d’années ; les cheveux gris) semble être le responsable hiérarchique. Les deux autres sont plus jeunes. A leur arrivée, j’indique à l’agent le plus âgé qui est l’agresseur. Les agents l’amènent alors à l’écart et discutent avec lui quelques instants. Puis l’agent le plus âgé vient vers moi et me demande qui a commencé la bagarre. Je lui réponds que ce n’est pas une bagarre mais une agression et que l’individu ici présent nous a agressé. L’agent me répond qu’il va faire son travail et que c’est lui qui verra qui a agressé l’autre. Une dizaine de minutes après l’arrivée de la 1ère patrouille, une deuxième patrouille composée de 3 agents en uniforme arrive sur les lieux. Un des agents en uniforme, plutôt jeune, nous pose des questions et prend des notes. Il me demande notamment quelle est mon adresse. Je lui réponds que j’habite au 157 cours Lafayette. Il affiche alors une réaction de surprise et me dit : « Mais Madame, je vous ai demandé votre adresse. » Je lui dis : « Mais j’habite le quartier. » Il me demande alors une pièce d’identité. Les pompiers interviennent ensuite. Ils ne nous posent aucune question sur notre état de santé physique ou psychologique alors que nous venons de subir plusieurs actes de violence (projections au sol, sur les escaliers, coups, tentative d’étranglement). De même, ils ne portent aucune attention à mon neveu qui est en pleurs et très choqué émotionnellement. Aucun policier n’a en outre pris l’initiative de nous conseiller sur nos droits, et la démarche à suivre si nous voulions que justice soit faite. J’indique moi-même à l’agent de police en civil le plus âgé que nous souhaitons aller au commissariat pour porter plainte. Il me répond que j’ai besoin d’un certificat médical pour porter plainte. Il insiste particulièrement sur le fait qu’il faut que nous allions au commissariat à 20 heures, et pas avant. Il se trouve que nous avons appris par la suite qu’une équipe de journalistes tournait le même jour un documentaire au commissariat de la rue Duguesclin et qu’elle devait en partir à 19h30. L’agresseur est finalement embarqué par les agents vers 19 h. Ma sœur, mon neveu et moi-même rentrons ensuite chez moi où un médecin de SOS Médecins vient établir les certificats médicaux indiqués comme indispensables au dépôt de la plainte par l’agent en civil.

L’accueil au commissariat de la rue Duguesclin

Munies des certificats médicaux nous entrons au commissariat Duguesclin. Nous sommes accueillies par un agent au 1er étage (une trentaine d’années, brun). Ma sœur et moi-même expliquons à l’agent la situation. Celui-ci nous propose alors de nous montrer des photos pour identifier l’agresseur. Nous lui indiquons que l’agresseur devrait être au commissariat puisqu’il y a été amené par les patrouilles de police. L’agent de l’accueil nous indique qu’il n’est pas du tout au courant de cet état de fait ; il essaie de se renseigner autour de lui. Affectée par les douleurs physiques que je ressens et par l’épuisement psychologique dans lequel je me trouve, je fais un malaise et tombe à terre. L’équipe de pompiers qui étaient intervenus sur le lieu de l’agression arrive de nouveau. Ils sont étonnés de ma réaction alors qu’ils n’avaient rien décelé lors de l’intervention cours Lafayette...ce qui est normal puisqu’ils n’ont réalisé aucun examen ni sur moi-même ni sur ma sœur. Ne me sentant pas en sécurité au commissariat, j’indique que je préfère aller reprendre mes forces chez une amie qui habite à côté, au 123 rue Duguesclin. L’équipe de télévision qui devait être partie à 19h30 se trouve toujours au commissariat. Intrigués par notre affaire, les journalistes nous demandent si nous sommes d’accord pour qu’ils suivent la suite de nos démarches, ce que nous acceptons.

Le dépôt de plainte au commissariat le mardi 20 janvier

Ma sœur et moi-même retournons au commissariat le lendemain, à 15 heures, pour déposer notre plainte. Nous rencontrons alors le responsable de la patrouille en civil intervenu la veille sur le lieu de l’agression, dont nous apprenons qu’il se prénomme P.. Je lui demande s’il se souvient de Souad et moi-même. Il me répond alors : « Mais Madame, vous savez, en France, on a des lois. » Nous recommençons à parler de l’agression. Souad aborde le sujet de la personnalité de l’agresseur : elle indique qu’il paraît avoir des problèmes psychologiques et souligne qu’il a totalement changé de comportement entre le moment de l’agression et le moment de l’arrivée de la police. Le dénommé P. répond, très gêné, qu’effectivement l’agresseur lui a donné l’impression d’être « très serein ». Nous sommes alors allées déposer notre plainte qu’une jeune fonctionnaire de police a prise. La scène du dépôt de la plainte a été filmée par l’équipe de journalistes.

La confrontation au commissariat le mardi 27 janvier

Le mardi suivant Souad et moi-même nous rendons au commissariat pour la confrontation, qui a lieu à 9 heures. C’est une certaine F. qui se charge de la confrontation. Elle nous apprend que nous n’avons plus de témoins, alors que les agents de police avaient récupéré les coordonnées de quelques témoins sur le lieu de l’agression. La fonctionnaire nous explique en effet que le 1er témoin « donne des rendez-vous et ne vient pas », la personne ayant indiqué qu’elle viendrait témoigner le lundi mais ne s’étant pas rendu au rendez-vous. J’ai retrouvé ce 1er témoin par la suite : il m’a effectivement indiqué qu’il avait oublié le rendez-vous du lundi, mais que la police ne l’avait pas recontacté et qu’il aurait volontiers témoigné au commissariat si il avait été recontacté. Concernant la 2ème témoin contactée, F. nous explique que la police n’a pas retenu son témoignage : « elle n’a rien vu, et en plus elle n’était pas trop sûre ». A ce sujet, la témoin nous a indiqué avoir eu les relations suivantes avec la police : « Le vendredi 23 janvier, j’ai pris note d’un message sur mon répondeur, seulement en fin de journée, qui provenait du commissariat et me demandait de venir déposer mon témoignage des faits auxquels j’avais assisté le 19 janvier, Rue Juliette Récamier. J’ai appelé le samedi au numéro indiqué, mais les bureaux étaient fermés. Je précise qu’aucun délai de RDV ne m’avait été indiqué. J’ai rappelé entre 8h30 et 9 heures le mardi 27 janvier. Une jeune femme m’a répondu qu’il était trop tard car la confrontation avait lieu le matin même. Je lui ai tout de même, à sa demande, laissé mon témoignage. Je lui racontais, sans hésitation, la scène de violence à laquelle j’avais assisté sur le trottoir de la rue Juliette Récamier et qui m’avait amené à ne pas quitter les lieux. Je n’avais pas assisté au début de l’agression, mais je pouvais témoigner de la violence des coups portés aux jeunes femmes par un homme au comportement froid et de l’inégalité du rapport de force » Je demande à la fonctionnaire si la police ne peut pas relancer ces témoins ou d’autres. Elle me répond : « On n’a pas que ça à faire. Ce n’est pas notre travail de faire ça. » Nous apprenons de plus que l’agresseur a lui-même porté plainte contre nous. L’équipe de journalistes, qui l’avait vu arriver au commissariat, nous a indiqué qu’il avait alors exhibé une fente à son jean pour démontrer que c’était nous qui l’avions agressé. Sa déposition comporte des propos racistes : parlant de l’un des passants qui l’a rattrapé pour empêcher sa fuite, il dit : « une autre personne de la même gangrène m’a sauté dessus » ; en conclusion, il parle de ma sœur et moi-même comme la « nouvelle génération de la racaille féminine ». La confrontation se déroule ensuite. Elle est filmée par l’équipe de journalistes. Souad et moi-même avons le sentiment d’un comportement partial de la fonctionnaire de police pendant le déroulement (la fonctionnaire laisse parler notre agresseur librement tandis qu’elle est directive avec nous). Nous apprenons pendant la confrontation que notre agresseur a un témoin (témoignage écrit déposé 48 heures après l’agression).

Après la confrontation

Ayant constaté que la police ne le ferait pas, je suis moi-même retournée sur les lieux de l’agression pour retrouver les témoins. Après plus d’une demi-journée de recherche, j’ai retrouvé les deux témoins contactés par la police, qui sont venus apporter leurs témoignages au dossier de mon avocat "

Fait à Lyon le 30/04/2004,

Myriam Belhadj

J’atteste la véracité des faits ci-dessus décrits par ma sœur,

Souad Belhadj


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